Le jour 11 continue
Le « Chemin du Corail Blanc » était une expérience demandante, mais nous n’avons pas encore le temps de nous reposer.
Empaquetage, grands remerciements à notre hôte Billy, et nous sommes de retour sur la route. Elle nous mène à travers des décors familiers : South Point, Naalehu, descente vers la côte Est, et devant la plage de sable noir de Punalu’u. Un sentiment de revenir quelques pages en arrière dans un bon livre, pour les relire, avant de commencer un nouveau chapitre excitant. Terra incognita. Nouveaux paysages. Le vert tourne au noir à nouveau, alors que la route contourne Hawaii Volcanoes National Park.
Le noir se désature progressivement pour retourner au vert, tandis que nous passons devant des villes comme « Fern Forest » (« Forêt de la Fougère »), ou « Orchidland Estates » (« Domaine de l’Orchidée »).
Notre prochain hôte est —un autre— Billy. Nous avons confirmé un point de rencontre quelque part sur la route, à un croisement que nous ne trouvons pas. Même si la grille de routes n’est pas intense ici, nous nous trouvons une longue heure plus tard, après le coucher de Soleil. Nous rencontrons une âme douce et gentille. Il nous amène chez lui, une maison/hutte de bois au milieu de la forêt. Nous le suivons lentement à travers la jungle, avec beaucoup de stress, car le chemin de boue et de roche qui mène à son terrain est traître et accidenté, et je réalise que je pourrais réduire en miettes le dessous de la voiture juste en manquant de peu un virage. Un peu moins d’un kilomètre de montagnes russes plus tard, nous arrivons. Je passe la main sur mon front en sueur, et nous plantons la tente sur son terrain, impatients d’aller nous allonger.
Le ciel nocturne est aussi incroyablement clair et lumineux, que la faune locale est abondante et bruyante.
Jour 12
La côte disparue sous la lave
Note : quand nous avons visité Big Island, en 2015, la côte que je m’apprête à décrire était noire et verte, pleine de vie. 2018 a été le théâtre d’une éruption majeure dans la région. La « Fissure 8 » (le plus large des 24 points d’éruption) a envoyé jusqu’à 150 m³ de lave à chaque seconde vers l’Océan pendant plusieurs mois (l’équivalent d’une piscine Olympique complètement vidée toutes les 16 secondes) (la pression était telle que la fontaine de lave a été estimée être haute de 18 étages par moments). À ce jour, l’Île est plus grande de ±875 acres#1, et une partie du paysage présenté plus bas est maintenant recouvert de lave fraîche.
La carte ci-dessous présente notre parcours, et nous y trouverez les bouts de route qui n’existent maintenant plus. J’ai ajouté une forme grise pour refléter la surface de terrain –et d’Océan– qui a été couverte par l’éruption (données de l’USGS).
Les lumières matinales sont sur nous quand nous ouvrons les yeux. Cela m’a pris une bonne heure pour m’habituer à la fête qui avait lieu autour de nous, et nous découvrons rapidement pourquoi : les grenouilles coquí ! Ces petites bestioles ne sont peut-être pas plus grandes qu’un pouce, mais elles produisent un cri de 90-100 dB (autour du niveau sonore d’un marteau-piqueur, ou une chaîne Hi-Fi standard à plein volume) lorsqu’elles cherchent leur partenaire. La forêt doit être pleine d’âmes célibataires.
Nous rencontrons Billy et lui annonçons que nous resterons pas avec lui à Kalapana pour les 3 jours que nous avions planifié. Passer à travers cette jungle une fois était suffisant. Enfin, deux fois, puisque nous devons sortir de là.
Nous traversons tant bien que mal le terrain accidenté, la voiture en une seule pièce, et nous rendons chez Uncle’s Awa Club pour le petit-déjeuner. Une combinaison de marché frais et de petites cabanes à bouffe. Nous nous asseyons chez Bare Bonez Q’s, pour un pancake, des saucisses, œuf et des « French toasts » (« toasts français », qui est en fait du « pain perdu »). Un repas pour durer la journée.
De forts bangs, comme du tonnerre, nous font sursauter. Un avocatier grand comme un pâté de maison couvre tout le marché, et ses fruits tombent ici et là sur les toitures de tôle, avant de rouler et tomber au sol.
Il est tombé du ciel ! Merci !
Nous ramassons un avocat géant qui nous a été offert par l’arbre, et sortons. En face du marché, un chemin se déroule au milieu de la roche volcanique jusqu’à l’Océan, Kaimu Beach Park. Ici encore, un contraste saisissant entre le terrain désolé, noir, cassant, et les noix de coco couchées, Nature s’éveillant, étirant ses jeunes feuilles vertes et souples. Par de plage à proprement parler, plutôt une côte cisaillée, frappée violemment par les vagues.
Toutes les phases lunaires ont un nom. <3
Nous continuons la route vers le Nord. Palmiers, Océans, noix de coco et vues scéniques tout au long.
Noix de coco !
Nous nous arrêtons près d’une plage connue pour le surf, et avançons entre les arbres pour trouver une petite piscine naturelle cachée dans la forêt. Moment de quiétude. Shooting photo. Seuls dans ce gem caché. Un petit crabe se manifeste, intéressé à mâcher les fibres de nos foutahs tunisiennes (ou peut-être les gouttelette d’eau qui sont dessus).
McKenzie State Recreation Area
La journée passe rapidement, avec tous ces petits arrêts sur la côte, et notre dernier se fait dans Paho’a, où nous passerons les prochaines nuits. Le meilleurs Fish’n’Chips a été trouvé sous le nom de Paho’a Fresh Fish. Les pommes de terre sont fabuleuses, le poisson est local, épais, consistant, et absolument délicieux. Mahi-mahi, et Ono. Au moment de l’écriture, trois ans après le voyage (déjà, sic), notre cœur bât toujours pour cet endroit, et aucun Fish’n’Chips dans les pays que nous avons visité ne lui arrive à la cheville.
Fish & Chips!
Nous terminons notre exploration avec une visite de la rue principale de Paho’a, petites échoppes et services.
Pele, la déesse du feu, des volcans, et créatrice des Îles de Hawaï. Toutes les représentations d’elle sont extrêmenent magnifiques.
Dernier arrêt, nos hôtes pour les nuits à venir : une famille de quatre—et demi. Nous sommes ébahis d’être avec des personnes aussi aimantes et gentilles. Tanya et moi dormirons sur la mezzanine, et les filles de la maison sont heureuses de savoir qu’elles ont une Ballerine sous leur toit.
Bonne nuit, grenouilles coquí !
Jour 13
Hilo
Nous nous éveillons et prenons rapidement le chemin de notre repas préféré de la journée : le petit-déjeuner !
Le Tin Shack Bakery (« Boulangerie de la Cabane en Tôle ») est notre nouvelle place. Elle a été fondée par nos hôtes (Noelle et Matt), et cette première en est même la chef, créant et perfectionnant les recettes. Tout est fait maison, et est tellement spécial que nos papilles sont submergées. Rouleau à la cannelle et pécan, petit pain de pomme de terre, et café frais local (oui, Big Island). Nous pourrions passer la journée ici à remplir nos estomac de tous les délices sortant des fours de cette « simple » boulangerie.
Petit pain de pomme de terre, et rouleau cannelle-pécan. On t’aime, Tin Shack Bakery !
L’aventure de la journée sera la visite de Hilo, centre de l’Est de Big Island. Une ville assez large et charmante. Rue centrale, marché fermier, Musée du Tsunami du Pacifique, front de mer, friperies… une journée facile.
« Sun your buns » (« Bronze tes… miches »). Love it!
Nous faisons le plein de bonnes choses, car nous avons prévu de préparer le dîner pour tout le monde ce soir, et empilons toutes les noix de coco que nous trouvons sur la route.
Un marché à ciel ouvert à Hilo
Un dernier arrêt en bord d’eau au Wailoa River State Park, avant de retourner à Paho’a. Une pause calme et rafraîchissante, au pied de douces vagues et de piscines naturelles la roche de lave. On pourrait rester ici des heures, les yeux fermés, à se laisser bercer par le son de l’eau.
Intense…
… et calme.
Retour à la maison avec une belle pile de cocos trouvées au bord de la route, ici et là, et bon dîner végétarien pour tout le monde. Bonne bouffe et bonnes histoires autour de la table.
Il faudra toutes les manger !
Le Saucier, assistant, garde un œil sur les tomates en dés. (vous le trouvez ?)
Jour 14
Perdus dans le volcan
Un jour off, c’est bien, mais un seul suffit ! Retour à notre vie d’aventuriers !
Le matin démarre avec une classe sur les huiles essentielles, pommades et baumes. Noelle nous montre le processus d’extraction, en utilisant des herbes et fleurs variées : Arnica, Feuille de Pissenlit, Plantain, Feuille d’Ortie et Baies de Sureau. Nous sommes aussi dans les produits naturels, et donc très intéressés à apprendre ces nouvelles techniques.
La deuxième partie est un entraînement focalisé sur le haut du corps avec un exercice complet : l’ouverture de noix de coco. Machette en main, le challenge le plus compliqué est d’ouvrir et retirer la bourre, l’enveloppe de fibres. Sa souplesse et son élasticité la rendent difficile à couper, tandis que la masse de fibres complètement maillée (souvent d’une épaisseur de 6-8 cm tout autour) serre la coque fermement et ne veut rien lâcher.
Essayer de couper la bourre…
… et la déchirer…
Récompense ! Tout frais du palmier.
Après l’effort vient le petit-déjeuner, et notre deuxième au Tin Shack Bakery (on pourrait presque camper devant). La déliceuseté (oui-oui, à ce point, faut en faire un nouveau mot!) de tout ce qui s’y trouve rend le choix difficile, et la non-gourmandise impossible.
Aujourd’hui, nous visitons les volcans. Cela sera tout à base de lave, roche, sécheresse, décors lunaires, et… vin ! Oui, nous prenons la voiture pour Volcano Winery (« Le Domaine du Volcan »). Ce vignoble est fameux à Hawaï pour ses raisins poussant sur les flancs volcaniques. Le sol de lave est fertile et riche. Nous optons pour une formule vin-et-liqueur. Goûteux, rond, mais pas l’effet « wow » que j’attendais. Le vin raisin-goyave reste mon favori. Un mélange de raisin blanc et de goyaves locales. Délicieux.
Bien occupés de 15 à 17 heures.
C’est… revigorés que nous allons explorer. Oui ! Les portes du Parc National Hawaii Volcano National Park s’ouvrent à nous, et les frais d’admission sont valides pour une semaine. Bon ! Nous allons vers le cratère Kīlauea Iki. L’histoire de celui-ci est surprenamment moderne et fascinante. L’éruption la plus récente est aussi jeune que mon père : 1959. Cette année-là, une série de séismes donna quelques indices que la chambre se remplissait de magma.
Quelques aspects impressionnants de cette éruptions étaient les fontaines de lave qui s’écoulaient depuis Pu’u Pua’i. Au 17 novembre, la fontaine atteignait 60-80 mètres de haut, avec quelques pics occasionnels à 180 mètres. La fontaine a grandi jusqu’à dépasser 320 mètres le 18 novembre. Le 21 novembre, le lac de lave était profond de presque un mètre au-dessus de l’ouverture, causant des ondulations sur la surface du lac de lave, et poussant la lave sur les bord du cratère à se briser comme des vagues sur une place. À 19h25 heure locale le 21 novembre, la fontaine est tombée de plus de 200 m jusqu’à ne représenter que quelques bulles de gas en moins de 40 secondes. Certaines des fontaines étaient extraordinairement hautes, atteignant parfois 580 mètres, parmi les plus hautes jamais enregistrées.
— Wikipedia#2
Le Kīlauea Iki est un cratère en forme de puit, créé par la récession et l’effondrement du sol surplombant la chambre de magma une fois vide.
Impressionnant, non ?
Il y a un chemin de randonnée qui contourne le cratère sur sa moitié, à travers une forêt tropicale, avant de descendre au fond, et traverser le lac, toujours fumant depuis 1959.
Il est 17h30, la journée est presque terminée, mais nous ne nous laissons pas décourager par si peu.
Nos premiers pas se font dans un décor aux contrastes habituels, mais toujours aussi étonnants : de la forêt tropicale verdoyante et luxuriante, remplie d’oiseaux locaux aux chants mélodieux, pour descendre dans le bassin noir, « mort », et désolé. Un lieu étrange, simple, mais puissant. Personne autour de nous, nous sommes les derniers à traverser le cratère aujourd’hui. Le paysage appelle aussi à un shooting photo, et nous répondons.
Entrée dans le cratère.
La dernière voiture quitte le bord du cratère. Nous sommes maintenant seuls.
Quelqu’un nous a dit que les baies qui grandissent dans le cratère sont comestibles et délicieuses. Et puisque presque aucun touriste ne sait cela, il y en a plein pour nous !
18h30, le Soleil disparaît, alors que nous entrons tout juste dans le lac.
Il commence à faire un peu noir…
Nous quittons le chemin principal, creusé et applati sur la roche par les randonneurs au cours des dernières décennies, pour nous approcher des cheminées. Toujours bouillantes, issues de l’eau de pluie qui ruisselle et descend pour trouver les roches chaudes plus bas sous terre. Brûlant, vrombissant. Il y a une force de la Nature féroce ici-bas. Et elle semble vivante. Incroyable.
Cheminée ou fissure, ronflant et crachant de la vapeur d’eau brûlante.
Impressionnée.
La nuit tombe sur nous rapidement sous ces latitudes, et nous nous retrouvons au milieu du cratère de lave dans un noir complet.
Bien que des Ahu (roches empilées) tracent le sentier à travers le fond du cratère, il est maintenant impossible de les repérer, même avec nos frontales. Tout est noir : terrain, contours, Ahu… et rien n’est réellement visible au-delà de 4-5 mètres. Je reste calme et méthodique. Une seule option : avancer tout droit, à l’aveugle, jusqu’à rejoindre le mur du cratère. Là, suivre le rebord jusqu’à trouver le chemin qui remonte. Il n’y pas plus personne, et notre cellulaire ne capte pas. Et rien n’est suffisamment clair à nos yeux pour prendre un cap précis.
Nous avons hâte d’être sortis de là, mais apprenons rapidement à ne pas nous précipiter. Les faisceaux de nos lampes frontales tombent ici dans un trou qui pourrait accommoder notre notre jambe jusqu’au genou, et là dans une crevasse assez large pour y être engouffré tout entier.
Nous avançons à l’aveugle pendant de longues minutes, trouvons un Ahu, puis un autre… et après 30 minutes de marche dans le noir, nous trouvons notre sortie.
Toi, Ahu ! On est sur le bon chemin.
De retour à la voiture, nous décompressons un peu, et allons à notre dernier arrêt : Kīlauea Caldera (le « Chaudron »)—cela dit, à distance. Ce volcan est toujours actif, et l’a été pendant des millénaires. Il a émergé de l’Océan il y a entre 50 000 et 100 000 ans, et a produit de la lave depuis, presque continuellement (Kīlauea signifie « cracher » en Hawaiien). Depuis 1918, sa période de repos la plus longue a été une sieste de 18 ans, entre 1934 et 1952.
On se rapproche…
Des belles représentations aperçues au centre/musée.
Je pourrais rester ici pendant des heures, juste à « ressentir » cette force puissance et inaccessible qui colore notre nuit.
Conduite sous un ciel clair et étoilé, vers un bon sommeil.
Jour 15
Les Pétroglyphes de Pu`u Loa
Notre dernier jour à Paho’a et dans ce secteur de l’Île. Nous nous réveillons tôt et descendons vers la côte, pour rencontrer le Soleil à Isaac Hale Beach Park ! (note : ce parc n’existe plus aujourd’hui sous cette forme, il a été couvert le lave en 2018, visible sur la carte)
Nous sommes en amour avec les plages en noir et blanc. Corail + Lave…
Rencontre du Soleil
On est dimanche, et à notre grand regrêt… le Tin Shack Bakery ne sera pas au menu. Fermé !
Il y a une dernière chose que nous voulons voir avant de partir, et cela nous pousse à retourner au Hawaii Volcano National Park : les pétroglyphes. Nous traversons le parc, et descendons les flancs du volcan, et cela ressemble à la descente d’une montagne. La pluie nous rejoint à mi-parcours, mais disparaît à mesure que nous perdons de l’altitude. Les zones climatiques sont vraiment intéressantes sur Hawaï.
En attendant, dans la voiture, sous la pluie, parce que le fiancé veut aller faire des photos dehors.
Tellement désolé.
Nous nous arrêtons sur le bas-côté pour quelques photos supplémentaires, et nous approcher de quelques formations de lave gigantesques. Les coulées de lave et les motifs sont impressionnants, parfois en prenant des formes drapées.
Les Pétroglyphes de Pu`u Loa nous attendent sous un Soleil fort, lumineux, et chaud. Les pétroglyphes sont des images, ou des représentations, qui ont été piquées dans la roche de lave. Le site est un des plus grands de Hawaii, et contient plus de 23 000 images pétroglyphe. Pu’u Loa signifie “Longue Colline”, mais une autre interprétation peut se faire en “Longue Vie”. Pendant des générations, les nouveaux parents venaient creuser un trou dans la lave, pour y déposer le cordon ombilical de leur nouveau-né, pour lui assurer une longue vie. Un trou pour une naissance, un trou dans un cercle pour le premier enfant de la famille. Les archives de la région entière s’étendent sous nos yeux. Nous sommes en admiration devant cet héritage vivant qui a survécu aux rigueurs de du temps.
Je suis sûr que vous appréciez un peu de lecture
Encore, quelques drapées de lave d’une beauté…
« Chaque puka (trou) est créé pour habiter le piko (cordon ombilical) d’un seul enfant ». Imaginez les familles entières, et les actes de naissance qui s’étendent sous vos yeux…
Un dernier
—
À venir au prochain épisode : du niveau de l’Océan jusqu’au plus haut sommet, et descente vers un chemin sacré dans la vallée la plus verdoyante.
Volcan. Mauna Kea. Le Chemin du Roi.
Carte de l’éruption : regardez la carte de l’USGS, et cherchez la « former coastline » (précédente ligne côtière). Kīlauea Iki, sur Wikipedia : //fr.wikipedia.org/wiki/Kilauea_IkiRéférences