Le Sentier de la Reine, une randonnée spirituelle et marécageuse, perchée dans « l’un des points les plus humides sur Terre. »
Koke’e State Park.
On peut parfois finir un peu mouillé, en randonnant sous la pluie. On peut aussi finir mouillé, en randonnant sous la pluie, dans l’un des endroits les plus humides de la planète. À quoi cela ressemble ? Un peu comme entrer dans un bain tiède, complètement habillé, avec les chaussures et le sac-à-dos attachés. Littéralement. Les couches imperméables n’empêcheront pas. Trempé. Pantalon comme si vous aviez traversé l’Océan dedans.
Mais bon, quand vous êtes déjà à trois heures du début du sentier, ET en pleine nature (avec nulle-part pour vous abriter), ET en train de traverser un marécage en haut d’une île tropicale… vos options sont assez minces. Globalement, un « — on est déjà arrivé là, autant continuer… »
Jour 4
Waimea Canyon et Koke’e State Park
Quatrième jour sur Kaua’i.
Une autre bonne nuit de sommeil chez Yvonne. Petit-déjeuner aux toasts, café, et mangues et fruits frais ramassés dans le jardin.
Tout est tellement vert et à tellement à offrir. Je commence à réellement comprendre le nom donné à l’île, Île Jardin, et les différentes histoires que l’on a entendu de personnes « prisonnières » du lieu. Je pourrais facilement — et sans grande peine — embrasser sous un tel destin, forcé à passer le reste de ma vie ici. Pénible.
Nous chargeons la voiture, disons au-revoir à notre hôte, puisque l’aventure nous attend et nous ne repasserons pas par ici. En route vers l’Ouest. Soleil et ciel dégagé, puis pluies tropicales et tombée de la nuit pour quelques minutes, puis ciel dégagé à nouveau. So tropical.
Nous traversons quelques petites villes et villages, et, plus nous avançons, plus tout semble devenir plus simple, comme rustique.
Nous nous arrêtons juste avant la bifurcation vers Koke’e. Pause déjeuner ! À voir l’état de l’Océan, et maintenant que nous sommes plutôt bon juges pour savoir où il est raisonnable d’entrer dans l’eau, je déclare que nous ne devrions même pas toucher le sable. Nous nous posons sur les rochers et commençons à manger, quand, quelques minutes plus tard, une vague géante apparue de nulle part s’écrase sur nous. Même en étant à 20~25 mètres de là où les vagues mouraient sur la plage, cette vague est arrivée avec une force sans précédent, et nous aurait probablement avalé si nous nous étions assis sur le sable.
Nous remontons vers la route et nous asseyons derrière la barrière de rochers.
À peu près secs, retour en voiture. Ici encore, du ciel bleu aux pluies lourdes en trois minutes. Cette fois-ci, l’arrêt sur l’accotement est forcé. Pas moyen de continuer, même à petite vitesse. Zéro visibilité.
Avec un mur d’eau devant nous, nous cherchons, un peu comme dans les cartoons, s’il n’y aurait pas quelques poissons nageant là-dedans.
Waimea Canyon
Quelques minutes plus tard, nous reprenons le chemin vers le Point de Vue du Waimea Canyon Viewpoint, à quelques 1000 mètres d’altitude. La pluie s’est arrêtée, et nous sommes heureux de pouvoir sortir de la voiture et marcher un peu. La vue ici est fantastique…ment bouchée . Mais le sourire me revient en voyant ce couple derrière sortie le selfie-stick. Peu importe !
Retour sur la route, puis arrivée à l’entrée du parc, et nous allons visiter le bureau du Ranger. Cartes, sentiers, prévisions météo… tout est passé à la loupe, surtout qu’il n’y a pas de réception sur nos cellulaires ici. Il vaut mieux savoir à l’avance où s’aventurer !
Beaucoup de sentiers faciles, pour la plupart trop faciles pour nous ( ^^ ), quelques autres sont probablement inaccessibles (« — Après toute la pluie et le vent qu’on a eu, si vous allez là-bas, nous devez avoir une tronçonneuse avec vous. Sinon vous pouvez finir coincés. — Euh, OK ! »). On se met d’accord sur le Alaka’i Swamp Trail (sentier du Marais d’Alaka’i). Après cette pluie, aller visiter un marécage semble une bonne idée, non ?
Un dernier sentier sur la carte met mes sens en émoi : un petit trait qui commence en haut et se termine dans Kalalau Valley, longeant et descendant une crête (vous verrez à quoi ressemble Kalalau Valley un peu plus tard). Trop dangereux, il a été fermé. Et retiré des éditions de cartes récentes. Mais la description est toujours sur le panneau, ici, et certains disent que le sentier est toujours emprunté par les locaux, et praticable, dans un sens.
Nous montons ensuite au camp et choisissons notre emplacement. N°4. Parce que nous avons vu une poule et ses quatre petits passer juste à côté au même moment. Et ils étaient mignons. Décision éclairée.
Nous sortons la tente, et je la prépare. J’ai monté pas mal de tentes au fil du temps, suffisamment pour avoir confiance en moi, et ne pas avoir senti le besoin de vérifier le manuel avant de partir. Je commence l’installation : la couverture de sol, la chambre, le toit imperméable, et il est temps d’ancrer tout ça à coup de sardines. Puis, vient le moment de glisser les arceaux… mais après avoir essayé toutes les configurations possibles (en ×, parallèle, avant-arrière, côté-côté…), je me résigne et me dis qu’il doit manquer une partie. Ou que les arceaux sont d’une autre tente.
Avec une tente à moitié-montée-moitié-écroulée, nous remontons en voiture pour aller explorer plus en haut.
Le temps est brumeux, et notre premier arrêt au Point de Vue Kalalau Viewpoint, à 1 200 mètres d’altitude, ne nous offre pas grand chose. Nous pouvons sentir la grandeur du vide devant nous… et rien de plus.
Nous rejoignons la fin de la route et second point de vue, Pu’u o Kila, et l’histoire est différente ici.
Un chemin quitte le point de vue, part vers le Nord, et nous amène devant un panneau en bois:
« Wai’Ale’Ale, un des points les plus humides sur Terre. Élévation 1 566 m »
Nous le passons et descendons, en suivant la crête le long de la falaise, et trouvons, quelques vingt minutes plus tard, le lieu parfait pour regarder le Soleil se coucher.
« Endroit parmi les plus humides » ? Les plantes ont l’air de confirmer.
Sans voix. À part pour une toute petite phrase magique : « on sera là-bas (en pointant du doigt le sentier que j’imagine courir sur la côte quelques 1 500 m plus bas) dans deux jours. » Frissons.
Les pieds à quelques centimètres d’une chute quasi-verticale de 1 200 m.
(oh, vous vous rappelez du chemin dangereux vu sur la carte ? Regardez à nouveau l’image précédente et essayez d’imaginer un chemin partant du haut et qui descend au fond de la vallée. Tout à l’air comme des lames de rasoir, et si vertical. Mais il y a un chemin… D’ici, la vallée est environ 1200 mètres plus bas).
Le Soleil finit son parcours du jour sous l’horizon, enflammant les nuages pour un court instant, avant de mettre cette partie du Monde à un repos paisible. Silence.
8 minutes se sont écoulées, le temps de ces trois photographies (au dessus, celle-ci, et au dessous).
Nous retournons au début du sentier, disons « au revoir » pour ce soir, et « merci. » Moments exceptionnels.
Sentiment de gratitude !
Retour au campement à la tombée de la nuit, douche gelée à l’eau de ruisseau sous l’éclairage de nos frontales, dîner sous les étoiles, nuit sous une tente à moitié effondrée.
Romantique.
Jour 5
« Le sentier de la Reine » : Alaka’i Swamp Trail
Je lis à voix haute ce que dit le Lonely Planet à propos de cette randonnée.
« […] C’est un lieu spirituel : on dit de la Reine Emma qu’elle a tant été émue par les histoires de l’Alaka’i qu’elle y est aventurée par elle-même, seulement pour chanter, en profond respect, durant son séjour. »
Ça fait envie !
Le café infuse et décante dans nos tasses colorées, le gruau (flocons d’avoine) est quasiment prêt. Un bon petit-déjeuner à l’aurore, avant de repartir pour Pu’u o Kila, la fin de la route, et le début du sentier.
La météo exécrable des derniers jours a repoussé tous les touristes (piqûre de rappel ? Un ouragan s’est dangereusement approché de l’île dans l’Épisode 1, allez le lire si ce n’est pas déjà fait !), et nous sommes seuls au monde. Il y a bien une voiture sur le parking de Pu’u o Kila, mais d’une famille qui semble être venue juste pour un court aperçu depuis le point de vue.
Nous reprenons notre descente le long de la crête, longeant la falaise, comme hier. Nos souffles, nos pas, le vent dans les arbres, et quelques oiseaux. Rien ne vient perturber l’environnement qui semble sourd. Le terrain change beaucoup dans la première partie du parcours et nous oblige parfois à grimper un mur presque vertical, ou à descendre comme des lézards, ou à sauter à travers des flaques de boue géantes. Le rythme est bon, tout en précaution, pour ne pas déjà finir mouillé et souillé. Nous n’en sommes qu’au départ, attendons d’être dans le marécage pour cela.
La même descente, mais la brume est épaisse ce matin. Sur la gauche, un bord avec une chute de 1200 mètres, sur la droite, 100 mètres « seulement ».
Au dessous : la traversée d’une forêt qui semble enchantée.
À éviter.
Après avoir longé la falaise, le chemin se divise en deux, et nous prenons à droite, en descente dans les terres, dans un décor complètement différent. Quittant la falaise quasiment nue, à part pour certains espaces boisés, nous plongeons dans une jungle géante, humide, verdoyante. La route est maintenant dirigée par une voie grillagée, flottant un pied (environ 30 centimètres) au dessus du sol, vous donnant l’impression de voler à travers cet endroit. Aucune empreinte au sol, et cela rend ce lieu encore plus spécial, sacré. Notre passage restera inaperçu.
À la jonction.
Humide ?
Cela fait presque deux heures que nous marchons, et nous n’avons pas croisé la moindre personne.
« Oh. Il y quelque chose qui me pique !! ».
Marcher sur la grille métallique du chemin peut amener à ça. Un bout de métal de quelques centimètres est monté droit dans sa semelle. Une bonne chose qu’elle avait des bonnes chaussures et que le morceaux n’aie pas été plus long, sinon…
Nous arrivons à une autre intersection. Tout droit, de retour à un parking plus bas, à gauche, la route vers le marais, et là le chemin plonge dans une vallée. À gauche ! Les longues grilles métalliques se transforment en courtes marches, créant un escalier sinueux disparaissant bien plus bas entre les arbres. Tout a l’air géant, magique… mystique.
Down… down… down
Le chemin débouche sur une rivière. Il y a du courant, mais certains rochers sortent de l’eau et nous permettent de traverser avec les chaussures aux pieds. Le terrain remonte ensuite, de l’autre côté de la vallée.
Les minutes passent et, soudainement, l’immense jungle s’arrête quasiment net, et notre ascension termine sur un terrain parfaitement plat à perte de vue.
Le niveau est bas, on peut traverser facilement !
Une aura différente, mais toujours très spirituelle, entoure ces lieux. D’un côté, nous avions la jungle chaude, verte, plein de de vie, quasiment parfois oppressante par une sur-abondance.
Ici, la vue est complètement ouverte, le vent caresse le visage, et, à part pour nos respirations, l’environnement semble muet. Figé. Je pourrais déposer mon sac à dos, m’asseoir et trouver une bonne posture sur le chemin, et me reposer et méditer. Mais pas cette fois. La pluie nous rejoint, douce, avant de redevenir celle que l’on connait. Grosse. Averse.
Bonjour averse !
Nos sortons nos ponchos de survie des sacs et les enfilons. Mais la pluie gagne, et après 10 minutes, la sensation est désagréable. Les jambes sont trempées, et l’eau coule le long des mollets, directement dans les chaussures. Il pleut tellement que l’eau n’a pas le temps de s’évacuer de nos corps, et beaucoup s’infiltre sous nos ponchos en remontant par le bas.
« — Soleil ! Oh rayon de Soleil ! Oh petit rayon de Soleil !! Où es-tu ?!… »
Tanya improvise un chant, tentant de demander aux Esprits du Marais une petite accalmie.
Nous rencontrons enfin deux vivants (trois heures après le départ de la randonnée), ici-haut, en plein milieu de nulle-part.
« Moi : Hey ! Vous êtes arrivés au bout ? C’est encore loin ?
(ils se regardent)
Lui : Peut-être un demi mile (environ un kilomètre), ou un peu plus ?
Tanya : Cool.
Elle : Ça vaut le coup, promis.
Tanya : Génial ! »
Trempés comme nous sommes, et en plein milieu de ce nulle-part, nous décidons de pousser jusqu’au bout.
Le chemin a beau être plat ici, il n’en est pas moins plus facile. Nous sommes dans un marécage. Au dessus d’un marécage, pour préciser, car nous sommes toujours sur des grilles métalliques étirées au dessus de l’eau. Mais les structures en bois qui les maintiennent se sont par endroit abîmées, ou effondrées, et donc, parfois, le chemin est sous l’eau, ou comme suspendu par un fil juste au dessus, appelant à la prudence à chaque pas pour éviter les panneaux qui s’écrasent dans l’eau sous notre poids, ou parfois nécessitant de magnifiques longs sauts de biche au dessus de l’eau, là où le chemin a complètement disparu.
Hop !
Au bout du sentier, le point de vue, après que le chemin descende de quelques marches sous le niveau du marais, et se suspende ici, accroché sur la falaise.
La vue est superbe…ment blanche. Un abri de fortune de quelques branches nous protège autant qu’il pleut de la pluie battante.
Nous sortons notre salade du sac, et commençons à manger. Un rire nerveux, mais exutoire, s’échappe de nous. La route a été intense, et nous voilà au bout, trempés jusqu’aux os, encore sous la pluie battante, devant un mur de nuages blancs. On dit que ce n’est pas la destination qui compte. C’est le voyage. Et ce voyage, cette traversée, a été incroyable. Nous rions, heureux d’être ici, rien que nous deux, au bout du Monde.
Tanya commence à sentir le froid la saisir, mélange de la pluie et du vent. Elle sort la flasque de poche du sac-à-dos, et commence à boire le whiskey qu’elle contient. Je souris, me rappelant que je lui ai dit, encore à la maison en Californie pendant les préparatifs, que nous devrions la prendre avec nous. Ce n’est pas tant pour juste boire, mais une flasque comme ça est toujours pratique pour vous sauver la vie. Et c’était le cas ici.
Au Point de Vue Kilohana…
La joie !
Revigorés par la pause, le lunch, et le whiskey, nous commençons notre périple retour, toujours sous les gouttes, après avoir salué notre cher Kilohana Lookout.
Le retour ne voit pas autant que pluie, mais il est tellement tombé que nos chemins de poussière se sont transformés en torrents de boue, que la rivière traversée à l’aller semble maintenant être un torrent enragé (mais heureusement pas un « stay away, stay alive », même s’il vaut mieux rester prudent).
Sur le retour. La pluie s’est calmée un peu.
On essaie de rester « propres ».
Humide ? J’ai l’impression de sortir du bain. Mais c’est juste l’humidité ambiante et la pluie.
Un peu de Soleil et de chaleur !
Re-descente dans la jungle.
Nous sommes passés au milieu à l’aller, mais le ruisseau de boue nous force à passer sur le côté.
Les rochers sont maintenant sous l’eau.
(juste pour la comparaison, c’était comme ça à l’aller)
Oui, on dirait vraiment une forêt primaire tropicale.
Il a plu ici aussi, rendant cette partie un peu plus ardue et glissante…
Retour à la voiture, puis au camping, où nous décidons de ne pas passer notre seconde nuit. Elle sera passée chez Yvonne. Ce n’est pas tant le camping, car le lieu est magnifique, mais parce que LA randonnée du voyage commencera demain, et nous devons nous sécher, sécher notre matériel, et nous reposer pour être prêt. Et avec le recul, c’est la meilleure décision que l’on pouvait prendre. Car la suite promettait de nécessiter toutes nos forces.
En redescendant de Koke’e State Park à la tombée de la nuit, nous avons fait un petit arrêt pour les dernières lueurs du jour.
Pleine Lune ce soir.